(de l'utilisation de l'image dans le cadre de l'instruction judiciaire et du procès pénal).
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Comment l'image est-elle utilisée dans le procès pénal et plus particulièrement dans le cadre de l'instruction et du procès d'Assises?
Pour répondre à cette question, j'ai écarté la notion de la force probante des images car la question ne se pose pas puisque les photographies sont prises par des personnes assermentées de la police ou de la gendarmerie.
La photographie a été utilisée très tôt dans le domaine criminel.
Tout d'abord dès 1881 le fichier anthropométrique d'Alphonse Bertillon a été le premier système d'identification. Il reste l'un des pionniers de l'enquête scientifique. Il a même apporté aux appareils photographiques des modifications qui devaient servir dans la pratique de l'enquête judiciaire.
D'autre part le fantasme de l'optogramme est apparu vers les années 1870 .Il s'agissait en fait de photographier le globe oculaire de la victime, dégagé de son orbite et débarrassé du cristallin afin de pouvoir l'interpréter après l'avoir photographié.(Revue photographique des hôpitaux de Paris(1870) Étude sur la rétine des sujets assassinés.)
La croyance populaire voulait qu'un meurtre de par sa violence et son caractère instantané avait le pouvoir d'impressionner la rétine.
Enfin au moment de la découverte de la photographie en 1839, les photographes n'ont pas été considérés comme des artistes car d'après les tribunaux, l'appareil photographique se bornait à reproduire la réalité. La seule œuvre de génie c'était l'invention de la machine et du procédés photographique. Cette jurisprudence est intéressante car au cours de mes développements on constatera que c'est justement ce que cherche à capter la police scientifique lors d'une scène de crime.
Je ne traiterai pas de l'expert judiciaire ni de l'expert médical. L'imagerie médicale n'est jamais contestée. C'est l'interprétation de l'image qui peut prêter à contradiction mais pas l'image elle-même. Je me suis principalement attaché aux pratiques dans le cadre de la chaine pénale depuis la prise de vue jusqu'au procès d'Assises. Le code de procédure pénale ne cite que quelques articles sur le sujet. J'ai eu la chance de rencontrer à la fois un photographe de la gendarmerie, un juge d'instruction, des avocats et un président de Cour d'Assises. Je les remercie pour le temps qu'ils ont bien voulu me consacrer.
Ma présentation se partage entre le cadre légal et la captation des images (I) et une analyse du rôle important de l'image mais également de ses limites (II).
I)Le cadre légal
l'utilisation de l'image dans le cadre de l'instruction judiciaire et du procès pénal peut se schématiser ainsi :
Crime :
I)Le ministère public doit poursuivre et ordonne une enquête :
Enquête préliminaire : photographies sur les lieux du crime par la police judiciaire.Constitution d'un recueil de photographies
En cas de garde à vue : Enregistrement vidéo de la garde à vue
II) Désignation par le Ministère Public d'un juge d'instruction :
Transmission du recueil de photographies au juge d'instruction.
Enregistrement vidéo du suspect dans le cabinet du juge
Photographies réalisées lors de la reconstitution.
III) Lors du Procès d'Assises :
Transmission du recueil de photos.Le Président choisit les photos à présenter aux jurés.
Production de photos par les avocats lors du procès.
Utilisation de la visioconférence avec les experts éloignés.
Utilisation des enregistrements réalisés lors de la garde à vue ou dans le cabinet du juge d'instruction en cas de contestation.
Nous aborderons dans cette première partie l'utilisation de l'image fixe et l'enregistrement audiovisuel(B)
A) l'Utilisation de l'image fixe
Le code de procédure nous renseigne sur les actes et pièces de procédure utilisés durant l'instruction et le procès
Dans le cadre d'un crime, la scène va être figée grâce à la photographie. Les gendarmes de la section scientifique spécialisés à la fois dans la recherche d 'empreintes et en photographie vont figer la scène. Ils vont ainsi constituer un document qui sera ensuite utilisé tout au long de la procédure, par le juge d'instruction, et par le président de la Cour d'Assises si le prévenu est renvoyé devant elle. Ce document peut contenir des relevés , des croquis, des plans des lieux, de la zone d'accès. Tout une série de renseignements sur l'environnement proche où le corps a été découvert.
La pratique des prises de vues a changé avec l'utilisation du numérique. Il y a encore quelques années, la police scientifique réalisait une trentaine de clichés, en moyenne, suivant l'importance de l'affaire criminelle. Aujourd'hui c'est entre 200 à 600 photographies qui sont enregistrées. Le numérique permet une meilleure couverture de la scène ce qui va par la suite éviter des contestations sur le choix des angles et de la lumière durant l'enquête. Cette multiplicité des images sert d'avantage l'enquête et évite au juge d 'instruction de se déplacer plusieurs fois sur les lieux . D'autant plus que le cadavre a été rapidement retiré.
Les photographies prises dans le cadre de l'enquête ne sont jamais remises en cause par les différentes parties en présence car il s'agit de photographies captées par la police scientifique, personnel assermenté.
(loi n°98-468 du 17 juin 98)
B) l'image fixe est complétée par un enregistrement audiovisuel
1) Durant la garde à vue
La garde à vue fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel depuis 1998 . L'enregistrement est obligatoire pour l'audition des mineurs victimes d'infractions sexuelles dont la liste est dressée à l'article 706-47 du code de procédure pénale. C'est ensuite une loi n°2007-284 5 mars 2007 qui a étendu le dispositif aux interrogatoires de personnes placées en garde à vue pour crime.
Ces enregistrements durant la garde à vue font partie d'une demande constante de la défense mais souvent ces moyens d'enregistrement restent souvent d'une qualité médiocre et surtout ces documents restent inexploitables dans leur intégralité. Il existe pourtant des normes très précises en matière d'enregistrement. C'est le référentiel général d'interopérabilité qui décrit l'ensemble des normes et bonnes pratiques communes aux administrations publiques françaises. C'est l'art 11 de l'ordonnance n°2005-1516 du 8 oct 2005 adapté en 2009 par l'arrêté du 9 nov 2009 portant approbation du référentiel général d’interopérabilité, consultable sur www;references.modernisation.gouv.fr.)
En parallèle aux enregistrements, le code de procédure pénal prévoit la tenue d'un carnet de déclarations où sont consignés les dates , heures de départ et de fin de la garde à vue, la durée des interrogatoires, le temps de repos et des repas les interrompant (art65 CPP).
Depuis ces obligations , pour éviter des enregistrements trop longs, les enquêteurs ont adaptés leur technique d'interrogatoire pour éviter qu'ils ne soient contestés ensuite par les avocats ou le juge d'instruction. Ces enregistrements sont complétés par un procès verbal très détaillé. Il ne s'agit plus de simple synthèse qui peuvent prêter à confusion mais d'un document complet, de style direct, où est retranscrit mot à mot voire le silence du prévenu.
Ainsi le juge d'instruction peut mieux se rendre compte des auditions. En revanche, entre la multiplication des photographies,les enregistrements, les comptes rendus d'audition de 25 pages et plus il n'est pas forcement aisé d'aller à l'essentiel. Mais en cas de contestation ultérieur sur une expression ou une réponse retranscrite dans le procès verbal, il est toujours possible de visionner la vidéo ou de reprendre les photographies et ainsi croiser les sources d'information. Le juge va analyser tous ces documents afin de comprendre ce qui s'est passé juste avant que la scène de crime n'ait lieu.
Si le procès verbal est contesté, la photographie ne l'est pas car il y a moins d’éléments subjectifs sur l'image. Si il y a un doute , il est toujours possible pour le juge d'instruction de se déplacer sur les lieux.
2) L'enregistrement dans le cabinet du juge d instruction.
Lors de la première comparution , c'est l'article 116-1 du code de procédure pénal qui précise : « en matière criminelle les interrogatoires des personnes mise en examen réalisés dans le cabinet du juge d'instruction y compris le premier interrogatoire de première comparution et les confrontations, font l'objet d'un enregistrement audiovisuel .»
L'enregistrement est réalisé en deux exemplaires sur un CD. L'un est mis sous scellé et sera utilisé en cas d'une quelconque contestation et l'autre sert uniquement au juge d'instruction pour les besoin de l'enquête. En cas de contestation sur une partie des déclarations, de la part de l'avocat,l'art 116-1 prévoit la possibilité de visionner le CD dans le cabinet du juge instruction après avis du procureur de la République et en présence du greffier. Cette procédure semble lourde mais garantit le secret de l'instruction et évite d'une manière plus basique des incompatibilités de matériel informatique!
3) La photographie lors de la reconstitution
Lors de la reconstitution, il va s'agir de mettre en scène ce qui s'est passé lors du crime. Cette quête de la réalité est indispensable à la bonne compréhension des pièces qui constituent le dossier. Généralement sur
les conseils de son avocat la personne en examen va refuser d'être photographiée car ces photos seront présentées lors du procès. C'est donc un gendarme qui accepte de rejouer la scène mais cela reste très subjectif pour des questions de taille et de carrure. Lors du procès,les jurés verront un policier sur les photographies et non l'accusé. Il y a ainsi un décalage évident entre les photographies qui ont au départ figé la scène du crime, en présence du cadavre et la reconstitution. Néanmoins cette phase même approximative parfois est nécessaire car elle va permettre d'analyser et évaluer les différentes informations du dossier.
Il ) Comment l'image impacte t-elle la décision ?
La présence de la photographie et des enregistrements audiovisuels jouent un rôle indéniable dans la recherche de la vérité. Quelle importance peut-on lui accorder et comment l'image est-elle utilisée lors du procès pénal?
A) l'importance de l'image dans la procédure.
Il semble que l'image fixe soit la plus utilisée, car elle ne requière pas de moyen technique supplémentaire une fois tirée sur support papier pour être visualisée. Les différentes partie en présence , juge d'instruction, Ministère Public, avocats, se limitent à ce type de support réalisé par la gendarmerie et le personnel assermenté. En ce qui concerne les photographies, autant la police scientifique utilise des techniques d'investigation très pointues dans certain domaines autant l'image est transcrite telle qu'elle a été captée. La photographie est rattachée au monde physique et matériel. Elle se place strictement dans le champ de la représentation. Le photographe de la gendarmerie désigne les lieux et la scène de crime et ne doit en aucun cas révéler ses propres perceptions. Il restitue la scène sous de multiples angles avant que le cadavre ne soit enlevé. Le travail du photographe va consister à éviter les multiples interprétations des différents acteurs et du juge d'instruction en particulier. Comme l'exprime Jean-Paul Curmier,« la photographie exécute(...) un certain rapport du temps et de l'espace dans une forme donnée.(...) La photographie bien qu'elle constitue la trace réelle de quelque chose qui a réellement existé ne peut -être vue comme la manifestation de l'existence de cette chose .» (Montrer l'invisible,de J.Chambon ,fév. 2009). Cette difficulté est surmontée par l'importance des tirages réalisés. . D'une manière générale la photographie est abordée sous l'angle de sa signification et non sous celui de l'esthétique. En revanche elle sera abordée lors du procès d'assise sous l'angle de l'émotion.
L'image fixe du fait d'un grand nombre d'angles proposés par le photographe est plus rapide à lire qu'un enregistrement vidéo. Souvent les enregistrements ne sont pas de bonne qualité. Le son reste médiocre. La visualisation requière beaucoup de temps. Une certaine subjectivité peut apparaître dans la lecture du mouvement. Il existe à Ecole Nationale de la Magistrature un exercice qui consiste à présenter aux futurs Magistrats une scène de holdup enregistrée par des caméras vidéo de surveillance. A l'issue de la séance il leur est demandé de décrire le principal braqueur de la scène. Les descriptions divergent .Ce qui ramène à la fois à la perception des choses et à la juste exactitude d'un témoignage. Dans le cadre de l'exploitation de l'image, fixe ou en mouvement, le personnel de la justice est-il suffisamment formé à l'analyse de l'image ? Que se passe-t-il avant un enregistrement lors de la garde à vue ou bien dans le cabinet du juge d'instruction? Que se dit-il durant les poses dans le cadre d'un interrogatoire? La garde à vue a été renforcée par une loi du 14 avril 2011 . cette réforme va renforcer les droits de la défense. Sa mise en application n'est pas sans difficulté. Comment un avocat va-t-il assister à toute la durée de la garde à vue? Le ministère de la justice estime en moyenne une garde à vue à 3Heures.
Ainsi l'image fixe et dans une moindre mesure l'image en mouvement, accompagnent les décisions que va prendre le juge d'instruction pour les besoins de l’enquête dans la recherche de la vérité. L'image va être également utilisée durant le procès d'assise.
B) L'utilisation de l'image lors du procès d'assise et ses limites.
Le Président de la Cour d'Assise est un scénariste. il va construire l’audience afin qu'une décision finale soit prise et que s’établisse la vérité. Ainsi , il ordonne les différents passages de témoins à la barre ainsi que l'ordre des experts et cet ordre n'est pas neutre. Il dispose de la police de l'audience et de la direction des débats . Sur l' ensemble des personnes qui compose la Cour, seul le président a pris connaissance du dossier. Seul le président s'est forgé une opinion.
Lors des débats, le président présente les photographies aux jurés et va prendre soin de ne pas montrer les photographie prises lors de l'autopsie ou celles qui sont insoutenables. Le Président organise le recueil des pages à divulguer en neutralisant certaines d’entre elles. On peut penser que le dossier est orienté. Mais les avocats et en particulier celui de la partie civile peut produire des photographies de la victime entourée de sa famille afin de sensibiliser les jurés et obtenir ainsi des dommages intérêts. Il s'agit ici de provoquer l’émotion. L'avocat accompagne souvent ces photographies de certificats médicaux afin d'insister sur l'importance des coups assénés à la victime. Il arrive également que la pièce à conviction soit plus crédible que la photographie de cette même pièce. Elle rajoute également une dimension émotionnelle, par exemple la vue du couteau qui a servi à contraindre la victime lors d'un viol, apporte une autre réalité que la simple photographie dans un recueil. De même un décalage existe forcément entre l'image de l'accusé présenté dans le recueil de photos par le Président et l'image de l'accusé dans le box mieux habillé, rasé et portant parfois une cravate.
Le Président peut décider de se transporter sur les lieux avec les jurés. Il peut arriver que ce déplacement ait lieu à la même saison afin de mieux cerner les lumières captées par les photographes de la gendarmerie Nationale. La démarche consiste à se retrouver dans les mêmes circonstances des faits afin de rechercher des éléments complémentaires voire d'autres impressions.
Si la photographie connait des limites, on ne peut que constater sa prolifération dû à son utilité pratique à tous les stades de la procédure. Toutes les parties présentes, de l'instruction au procès sont convaincues de l'apport de la photographie par le gain de temps engendré. Toutes sont conscientes de la complexité de son interprétation. La dernière reforme du code de procédure pénale de l'année 2011 ne prévoit aucun texte supplémentaire sur l’utilisation de la photographie. Ainsi à part quelques articles et circulaire de l'administration centrale, la pratique a grande importance. L'image n'a pas été intégrée comme outil. Il n'y a pas dans le code de procédure pénale de place consacré à son utilisation, son exploitation. Et pourtant tout le monde enregistre des photographies, tout le monde filme même avec son téléphone portable.